0

Milking Crotalus atrox.jpg

Venins qui sauvent

Milking d'un crotale (Crotalus atrox). Il s'agit de le "traire" pour extraire son venin.

Le venin dans tous ses états

water-drop2.png

De quoi est fait un venin ?

liquid-droplet-with-white-detail.png

Pour comprendre l'intérêt thérapeutique que peuvent représenter les venins, il faut comprendre leur composition. Le Dr. Denis Servent est directeur du laboratoire de toxinologie moléculaire et biotechnologie au CEA de Saclay. Depuis plus de 25 ans, il étudie les protéines qui composent les venins. Et ces derniers réservent encore bien des secrets.

 

« Le venin à proprement parler est un mélange très complexe, on peut avoir plusieurs centaines à plusieurs milliers de molécules différentes dans un même venin. C’est donc un cocktail extrêmement riche produit par l’animal pour chasser et se défendre ». La toxicité d'un venin dépend de la façon dont il est injecté mais aussi de la quantité inoculée et donc de la dentition du serpent qui l'injecte. Mais le paramètre le plus déterminant concernant la toxicité d'un venin, c'est sa composition.

 

« Le plus important c'est les molécules qu’il contient. Beaucoup d’organismes sont avant tout neurotoxiques, donc ils ont des molécules qui vont cibler dans l’organisme hôte des molécules qui jouent un rôle important dans le système nerveux et qui vont bloquer ou suractiver le fonctionnement de ce système nerveux. Elles entraînent en général une paralysie du diaphragme et une mort par asphyxie. C’est directement la composition du venin qui fait la toxicité » précise Denis Servent. 

 

 

Les venins sont constitués de protéines. Ces dernières sont des molécules présentes dans toutes les cellules vivantes et assurent des actions biologiques très diverses. Les glandes venimeuses possèdent des cellules spécialisées dans la fabrication de protéines à activité toxique. 

gabonica_alphabiotoxine.png

Il y a deux grands composants selon les effets du venin :

hannah.png

Vipère du Gabon (Bitis rhinoceros):

venin hémorragique, nécrosant et neurotoxique 

Cobra royal (Ophiophagus hannah) :

venin neurotoxique 

Les enzymes :

 

Ce sont de grosses protéines qui sont douées d’une activité catalytique c'est-à-dire qu’elles vont couper d’autres protéines ou les activer.

 

Elles sont responsables d’une dégradation importante de la coagulation avec des effets hémorragiques par exemple.

 

On en trouve souvent dans les venins de vipéridés comme la vipère du Gabon. Le venin de cette vipère contient aussi des peptides d'où l'effet neurotoxique.

Les peptides :

 

Chez les élapidés comme le Cobra, on trouve assez peu d’enzymes et surtout des petits peptides (protéines plus petites).

 

Ces derniers vont reconnaître des canaux ioniques dans les neurones ou des récepteurs qui jouent un rôle important au niveau du système nerveux et bloquer son fonctionnement.

 

Cela n'est pas une règle absolue et des peptides peuvent se trouver dans les venins de vipères tout comme un venin de cobra peut être nécrosant à cause de ses enzymes.

 

 

Le venin : objet de l'intérêt scientifique à travers les âges  

Copie de snake.png
snake-silhouette.png

L'intérêt de la science pour les venins s'est forgé à travers les âges. Retour sur l'évolution du regard des savants sur les toxines et les animaux venimeux

 

Dès l'Antiquité, l'intérêt pour les serpents est marqué et des documents font état de l'intérêt des Grecques notamment. Outre le fait qu'ils vénèraient certaines couleuvres, des intellectuels notaient soigneusement les lieux et les conditions où l'on risquait de rencontrer des vipères pour éviter à leurs contemporains de se faire mordre.

 

De même la médecine de l'époque utilisait des broyats d'animaux séchés à des fins thérapeutiques (comme dans la médecine traditionnelle chinoise).

Rudy Fourmy

Biologiste spécialiste des animaux venimeux

alcool.png

Du vin de serpent au Vietnam. Il aurait des vertus médicinales ...

Ces animaux avec un potentiel de mort ont quand même suscité de l’intérêt auprès de la science pour tenter de s'en préserver. On a essayé de mettre au point des traitements.

 

On a inventé de multiples choses, mais pour inventer des traitements face aux morsures d’animaux il fallait mieux les connaitre. Progressivement les chercheurs ont décortiqué un petit peu cette fonction venimeuse.

 

Le premier antivenin est conçu en 1864 par les biologistes Césaire et Marie Phisalix ainsi que par le biochimiste Gabriel Bertrand. Le venin intéressait surtout pour permettre à la médecine de sauver les victimes d'envenimations.

 

 

En 1901 Vital Brazil, un médecin brésilien, fonde l'institut Butantan spécialisé dans les animaux venimeux.Il y développe des antivenins contre les espèces locales. 

 

C'est dans cet institut que dans les années 60-70 est découvert l'effet hypotenseur du venin du crotale Bothrops jararaca. À partir de cette découverte, des chercheurs américains ont développé le Captopril, un médicament largement utilisé pour les personnes hypertendues.

Les techniques d'aujourd'hui permettent de s'intéresser à des espèces de plus en plus petites et qui produisent du venin en petite quantité. À tel point que les serpents passeraient presque en second plan face aux cônes et aux araignées

Alphabiotoxine : une ferme pour animaux venimeux  

Afin de fournir les chercheurs en venins divers, Rudy Fourmy a eu l'idée en 2009 de fonder un laboratoire pour élever et extraire les venins de différentes espèces. Son élevage, situé en Belgique, contient des serpents, des poissons, des cônes, des anémones, de amphibiens, des araignées, des scolopendres et bien d'autres créatures

 

Les venins sont aussi diversifiés que les espèces qui les fabriquent. C'est pourquoi d'un côté, l'équipe se charge d'extraire le précieux liquide et de l'autre elle aiguille les chercheurs sur les venins qui correspondent à leurs recherches respectives. 

Concernant l'origine des animaux, « ça dépend des opportunités. On préfère des animaux qui proviennent du milieu naturel pour avoir une souche que j’appelle AOC un peu comme le vin. Une souche née en captivité "AOC" venant de parents dont on connait l’origine géographique certaine, c’est un produit de luxe !».

 

Le problème étant qu'avec les animaux nés en captivité, il y a un brassage de souches d'origines diverses et il peut être difficile de déterminer une sous-espèce ou une origine géographique précise. 

 

« Or selon l'origine géographique, des individus de la même espèce auront un venin différent ! Quand on veut faire une étude précise sur une activité chimique d’une molécule d'un venin, il n’est pas du tout sûr que cette manipulation soit reproductible sur des animaux d’origines différentes car le venin sera différent ».

 

Le venin est à ce point variable qu'il n'a pas la même composition chez un même individu selon qu'il soit jeune ou adulte, selon la saison, etc. Cela s'explique car « un jeune ne va pas forcément tuer les mêmes proies qu'un adulte, un juvénile va par exemple manger des insectes quand un adulte chassera des lézards. La composition du venin change dans le temps ».

protobothrops.png

Mesure de protection :

 

Protobothrops mangshanensis est un crotale venant de Chine considéré comme en danger par l'IUCN. Possédant cette espèce, le laboratoire de Rudy Fourmy s'est adossé à un programme de protection et d'élevage intensif.

 

 « Il est évident que si l’on veut faire ce travail dans des règles éthiques défendables au niveau du monde politique, scientifique et de la population, il n’est plus de bon ton d’exploiter les ressources naturelles sans prendre en compte la pérennité de ces ressources » explique Rudy Fourmy

« Selon le type de serpent que l’on va traire et manipuler, on ne va pas procéder de la même manière avec un mamba ou une vipère du Gabon. L’équipement ne sera pas pareil, le verre à prélèvement aussi mais également l’espace de travail » précise Rudy Fourmy.

 

La technique de manipulation est fonction du type d’animal : pour certains il faut simplement bloquer la tête, pour d’autres il faut faire la technique du tubing : l'animal pénètre dans un tube en plastique et est immobilisé. « Les techniques varient pour différentes raisons, par exemple avec les Atractaspis qui peuvent déployer leurs crochets sans ouvrir la gueule. D’autres serpents sont si petits que la tête n’est pas blocable manuellement sous peine de le blesser, etc. Tout dépend du type de serpent et de ce qu’on veut faire » conclut Mr. Fourmy.

 

De plus, chaque extracteur a ses préférences et se sent plus à l'aise avec certaines bêtes et moins avec d'autres.        « Ça n’empêche pas l’un et l’autre de travailler avec des animaux avec lesquelles on est moins à l’aise mais dans la mesure du possible on essaye de respecter les affinités pour réduire les risques » ajoute le biologiste.

 

Le prélèvement de venin est aussi conditionné par des demandes spécifiques. « Nous travaillons surtout pour le secteur analytique et la recherche pharmaceutique, plus que pour la production de sérums antivenimeux. Les protocoles de prélèvements et de transformations de venins varient selon les besoins. Le venin doit parfois rester liquide, parfois solide et nous ne sommes pas toujours informés des raisons ». Une fois extrait, le venin est lyophilisé la plupart du temps et placé dans un congélateur à -18°C pour qu'il reste biologiquement actif.

 

Extraire du venin et le conditionner  

Quand les venins sauvent

Copie de water-drop2.png

Une aiguille dans une botte de foin

Denis Servent

Pharmacologue, laboratoire de toxinologie, CEA Saclay

ds.png

Qui dit diversité des venins dit diversité de leurs composants. « Il est cependant extrêmement rare de trouver la même toxine dans deux venins différents même d’espèces très proches. Donc ça va être une toxine on va dire cousine qui va être très légèrement modifiée mais c’est très exceptionnelle de retrouver la même. Chaque venin est vraiment totalement unique » explique Denis Servent.

 

C'est d'ailleurs la raison d'être du projet Venomics. Objectif : réaliser une bibliothèque des différentes toxines présentes dans les venins et les comprendre pour savoir si elles peuvent servir la recherche. 

Le projet Venomics en chiffres :

7

laboratoires européens

dont celui de toxinologie du CEA Paris-Saclay

25 000

toxines répertoriées dont 3600 au CEA Saclay

40 millions

estimation du nombre de toxines existantes toutes espèces confondues

Et même sur un venin bien étudié, seul 10% de son activité biologique est connue. Mais comment un venin peut-il avoir un intérêt thérapeutique ? « On peut passer d’une menace due à la dangerosité du venin qui va jouer sur des protéines qui ont un rôle physiologique important à un effet bénéfique. Ces mêmes protéines, ces mêmes récepteurs, ces mêmes canaux ioniques de notre organisme qui sont les cibles du venin sont aussi impliqués dans des dysfonctions liées à des maladies lorsqu’ils ne fonctionnent pas correctement. Les molécules du venin peuvent tout à fait retrouver un aspect bénéfique dans un contexte thérapeutique »

Et pour trouver des molécules intéressantes, il faut analyser chaque venin. « C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin » ajoute Denis Servent. « D'autant plus que les molécules qui nous intéressent sont souvent celles sans effets toxiques qui sont présentes en plus petite quantité, parfois moins de 0.1% ». Pour dénicher le Graal, il y a différentes étapes.

Venin lyophilisé.jpg
Venin liquide.jpg
rudy_fourmy_son.png

Rudy Fourmy

Biologiste spécialiste des animaux venimeux

Copie de rudy_fourmy_son.png

À gauche : venin sous forme liquide. À droite : venin sous forme solide lyophilisé.

Avec l'amélioration des technologies, les scientifiques ont développé un intérêt pour les composants du venin et les réutilisations possibles pour la recherche pharmaceutique. Et Denis Servent, pharmacologue à Paris Saclay, est optimiste pour le futur : « Il reste beaucoup à faire. C’est une période de virage. Pendant 30 ans il y a eu un point de départ. Des années 70-75 jusqu’en 2005, on était beaucoup dans le descriptif, dans la compréhension de la fonction toxique. Nous n'étions pas encore dans la phase d'identification complète de ce que qu’il y a dans un venin ».

 

« L’émergence de nouvelles techniques dans les années 2000 des sciences omiques (transcriptomique, génomique, protéomique) a ouvert un champ nouveau important car on peut avoir une cartographie très précise des centaines de molécules présentes dans un venin. On a aussi des systèmes de criblage haut débit pour idientifier des molécules par rapport aux rôles qu'elles jouent et les capacités de produire une grande diversité de ces molécules là ».

1%

C'est le taux de molécules qui finiront sur le marché

 

 

 

« Cela paraît peu mais il est fort à parier qu’on ait plus de molécules qui viennent de cette source là car ces molécules sont pré-designées par l’évolution pour leurs fonctions ce qui est un avantage important sur les criblages aléatoires de librairies de petites molécules par rapport à celles artificielles ». Et d'ailleurs le taux de réussite lors d'un criblage avec les molécules naturelles est 100 fois plus important qu'avec des molécules artificielles.

 

Ensuite lorsqu'une molécule intéressante est trouvée, elle est brevetée puis revendue à un laboratoire pharmaceutique qui cherchera à savoir si elle peut-être utilisée comme médicament. L'argent récolté finance en partie les recherches.

 

Beaucoup de molécules ne finissent pas sur le marché. « Actuellement il y a 7 molécules issues de venins sur le marché dont la moitié provient de serpents ». Mais les molécules les plus intéressantes sont les peptides, les petites protéines. Elles sont présentes ches les cônes et les mambas.

 

« Le processus dans son ensemble prend 10 à 15 ans. L’écho qu’ont les industries pharmaceutiques est plus important et les industriels en partenariat avec nous s’intéressent de plus en plus à ces molécules car le rendement des énormes librairies de millions de molécules chimiques est relativement faible en terme de molécules actives nouvelles. Les industriels s’ouvrent de plus plus à l’intérêt des peptides présents dans les venins ».

 

 

 

 

mamba.jpg

Actuellement, l'équipe de Denis Servent s'intéresse particulièrement à 6 molécules présentes dans les venins de mamba notamment par rapport à des effets sur des pathologies rénales et des insuffisances cardiaques. Ici mamba vert de l'Est (Dendroaspis angusticeps).

Et même si elles ne finissent pas dans un médicament, les molécules découvertes sont toujours utiles aux chercheurs. « Si on ne peut pas en faire un médicament pour des problèmes d’effets secondaires, de manque de sélectivité ou de problème immunologique, on peut trouver des applications comme outils pharmacologiques dans les laboratoires et fournir aux chercheurs de nouvelles molécules pour étudier des récepteurs » souligne Denis Servent.

 

Bref, l'étude du venin a de beaux jours devant elle.

Un webdocumentaire réalisé par

Adrien Farese

adrienfarese.png